Dans le même registre mais pas du tout sur la même étagère, « Dans l’oreille du Cyclone » de Guillaume Meurice, excellent journal de bord d’un humoriste en pleine tempête médiatique.
Je ne sais pas si vous, vous avez le pied marin, mais je peux vous certifier que Guillaume Meurice, lui, il l’a. Si besoin est, je vous redonne le contexte mais d’abord, veuillez enfiler votre ciré. C’est bon ? Ok, je largue les amarres. Fin Octobre 2024, dans l’émission de Charline Vanhoenacker « Le Grand dimanche soir », l’animateur France Interrien amateur de micro-trottoir se lance dans un sketch ayant pour sujet Halloween. Jusque-là, pas un brin de zef dans les écoutilles. Puis, actualité oblige (conflit israélo-palestinien), le voilà qui liste les costumes qui font peur et propose celui de premier ministre israélien, celui de Benyamin Nétanyahou. À cela, il ajoute, « Vous voyez qui c’est ? Une sorte de nazi sans prépuce. ». Rires dans la salle. Pourtant, déjà, la shit storm commence à poindre à l’horizon. Alors pour celles et ceux qui ne lisent pas Shakespeare, notez qu’une shit storm, c’est une tempête de caca. Et pour Guillaume Meurice, elle va durer pas loin de 3 semaines. Purée, trois semaines, c’est long ! Surtout quand on a les narines sensibles. Donc, pour résumer, Guillaume Meurice se prend en pleine gueule : insultes, menaces de mort, convocations dans les bureaux de la PJ, plainte pour injure publique et, pire encore, quelques réflexions outragées d’étrons de C(uvette)news. Bref, les médias s’agitent, les fachos s’excitent, Meurice, lui, tient autant la barre que tête à sa direction. C’est que pour éviter la sanction fatidique qui l’enverrait faire la queue à France Travail, Meurice doit présenter ces excuses. Ce qu’il refuse. Il s’en sort au final avec un averto. Soudain, le 21 novembre 2023, le vent se lève, les nuages de merde s’effacent, la France redevient une mer d’huile de vidange. Fini pour Meurice, qui se retrouve tout dépenaillé, crinière blanche ébouriffée et chemisette tachée. Bien sûr, nous pouvons toujours ergoter sur la qualité de cette blague ou le prétendu antisémitisme de l’intéressé. Je ne le ferai pas, ça ne m’intéresse pas. En revanche ce qui est captivant dans cette affaire, c’est non seulement comment la mayonnaise médiatique prend et tourne vite en jus de fèces, mais surtout à qui elle est utile. Allez, rien que pour vous, le moussaillon de la mouscaille nous raconte sa traversée en eaux sales.
Quand commence la «shit storm » ?
Guillaume Meurice : Dans la chronologie, dès le lendemain. Il y a tout d'abord Pascal Praud qui s'en empare mais ça c'est la tradition. Après, le mardi ça commence à être repris par un député Horizon dont je ne me rappelle plus le nom et qui a tenté de faire son buzz là-dessus. Puis ça a quitté la fachosphère et dès que ça s'en est éloigné, de CNews ou des comptes twitters des fafs, cela a pris de l’ampleur via les médias mainstream de type BFM. Donc, oui ça décolle dès le mercredi et là, je commence à recevoir des appels sur mon téléphone portable, mon fixe.
Des menaces ?
G.M : Oui, le classique : menaces, insultes, vœux divers dont celui de me voir crever dans un attentat ou de me foutre un pain si jamais on me croise dans la rue. Des messages dans ce genre, j'en reçois aussi dans ma boîte mail, sur les réseaux sociaux. C'est assez intense mais ça ne dure pas si longtemps que ça, genre deux trois jours. Mais bon, les réseaux sociaux, je n'y vais jamais, c'est le monde réel qui m'intéresse. Là tout se passe dans le monde virtuel, dans le monde médiatique qui a tendance à se considérer comme le monde réel. D'ailleurs, j'ai passé mon temps à dire à Radio France que c'est une polémique médiatique, que les gens n'en n’ont rien à foutre. Ils ont des crédits et des factures à payer les gens.
Et les accusations d'antisémitisme ?
G.M : Dès que tu es un peu critique avec un criminel de guerre qui est en train de transformer un territoire en parking, c'est que tu es antisémite. C'est une mécanique somme toute assez fréquente. Ce qui est assez inédit par contre, c'est l'ampleur et la durée : trois semaines. J'ai été aussi convoqué par la police judiciaire et ça aussi c'est inédit. Au final, ce qui m'a intéressé dans cette histoire, c'est de voir chacun se positionner, de voir comment justement fonctionne cette mécanique. Tout ça part d'une blague et ça finit à la police Judiciaire, ça n'a aucun sens.
Comment vous vous retrouvez à la PJ ?
G.M : C'est suite à un dépôt de plainte par deux assos pour injure publique et incitation à la haine raciale. Mais c'est surtout qu'un procureur a décidé qu'une enquête préliminaire devrait être ouverte. C'est un cap supplémentaire. Que des gens portent plainte, pourquoi pas, c'est le droit français. Mais qu'un procureur de la République dise qu'il faille lancer une investigation, on a franchi une étape. Je ne sais même pas si c'est déjà arrivé dans l'humour. J'imagine qu'il y a eu des pressions ou qu'il peut pas me blairer moi ou France Inter et c'est juste pour faire chier.
Comment s'est déroulé l'interrogatoire ?
G.M : Eh bien on m'a demandé quel était pour moi le "nazi absolu". Bon, en fait, c'était assez détendu comme interrogatoire. On était 4 et on se demandait tous ce qu'on foutait là. C'était quand même pas le casse du siècle pour les flics. Je ne suis ni Mesrine ni Soral. Donc, j'avais l'impression qu'ils me posaient des questions qu'on leur avait dit de poser, que c'était pas leurs questions. L'ambiance était un peu chelou mais assez détendue. Je sentais bien qu'ils avaient d'autres choses à foutre.
Du soutien de la direction ?
G.M : Ils m'ont demandé de présenter des excuses mais comme je considère que je n'ai pas fait d'erreur, je ne vois pas pourquoi je m'excuserais. Après, ils m'ont demandé de dire un petit mot pour ceux que j'ai choqués. Mais si je commence à faire ça, je vais le faire toutes les semaines. Des plaintes j'en reçois tous les jours à base de gnagna mes impôts, gnagna gauchiste... D'ailleurs, si j'ai reçu un "avertissement de la radio", ce n'est pas pour ma blague, c'est parce que j'ai refusé de m'expliquer après. Donc, je les attaque au Prud’hommes pour ça, parce que c'est complètement con.
Quel rôle a le rire ? De résistance ou de pilule pour digérer la merde ambiante ?
G.M : J'ai fait un livre là-dessus, « Le Roi N'avait Pas Ri », sur la position sociale que l'on occupe ; on fait les malins en critiquant Macron mais quelque part c'est Macron qui nous donne l'autorisation de le faire. C'est la position historique du bouffon du Roi avec deux différences notables, c'est que Macron ne peut pas nous couper la tête et que nous ne sommes pas obligés de faire rire le Roi. Notre position dans le schéma de la société contemporaine est la même, un peu nébuleuse, ni blanche, ni noire, bien grise : nous avons la liberté de dire ce qu'on veut mais le pouvoir surveille et se sert de toi. Même de nous à France Inter, tout simplement en disant, regardez, on a des gens de gauche à la radio. Mais à quel moment ne sert on pas à légitimer la structure que l'on dénonce ?
Guillaume ne pouvait pas se douter lors de cette interview que quelques semaines plus tard, le 12 juin, la direction de France Inter allait le licencier. Rira bien qui...