COMMENT PARLER DES ROMANCES MODERNES SANS FAIRE L’IMPASSE SUR LA SAINTE VIEILLE TRINITÉ ; LE COUPLE, L’AMOUR, LA MATERNITÉ, LES TROIS PILIERS D’UNE VIE NORMÉE ?
Eh bien en faisant en sorte de les faire tomber à la masse, de passer les ruines au lance-flammes et de foutre ce qui reste de cendres à la benne. C’est à ce genre de travaux pratiques que s’adonne Blandine Lehout et croyez-moi, elle ne ménage pas ses efforts. Pour un soir, faites donc l’impasse sur la passion, la fantaisie et le vaudeville. Zappez les péripéties haletantes, le sexe torride du samedi soir et tout le baratin sur l’épanouissement à deux ; la vie conjugale, la vraie, c’est pas une rom com. Et si la parole est le ciment du couple, la trentenaire Blandine Lehout redouble de vannes pour l’ébranler.
Sans gants ni casque et surtout sans demande d’autorisation, Blandine Lehout tape dans le dur, le concret, bref, en un mot : le réel. Son matos pour tout foutre à terre ? Une tonne d’anecdotes ultra persos plus explosives que de la dynamite. Et l’intimité, quand ça vous pète à la gueule sans prévenir, ça peut faire drôle. Mais avant de commencer le chantier, il est urgent de poser un diagnostic, d’être au clair avec sa vie pour se rendre compte à quel point elle est moisie voire amiantée. Tout d’abord, la famille : sa mère ? Check la névrose en héritage. Ses deux gosses ? Check le post-partum. Son keum ? Ben, en ex-expert-comptable, Blandine s’y connaît en dette amoureuse salée. Ensuite : faire le tri, jeter le reste pour enfin démanteler tout ça dans une jubilation assumée comme toute bonne entreprise de déconstruction salutaire.
Déconstruire, c’est pas forcément détruire, hein. C’est surtout le meilleur moyen de revoir toutes les
« valeurs » que cette société bien morale nous a inculquées et de les confronter à la vacherie du quotidien. Pour pas tout dégommer comme un sagouin, faut faire son taf d’artiste : poser la question de la liberté. Être libre d’avoir un taf de saltimbanque et des gosses sans culpabiliser, par exemple. Il y a plein de moyens d’être une meuf émancipée, ce sont pas les modèles qui manquent. Blandine Lehout a fait le choix de saper l’illusion de la famille parfaite en s’en prenant à ses fondations en toc, de miner l’image de la mère idéale comme de saboter l’idée de la partenaire idyllique juste pour bâtir sa vie. Et pour partir sur des bases saines, rien de mieux que l’humour : ça cimente bien l’amour.
Thomas Bernard : Quand tu étais petite, tu voulais être d’abord quoi ; mère ou humoriste ;) ?
Blandine Lehout : Je crois que je ne voulais être ni l’un ni l’autre.
Je me souviens que j’ai toujours voulu avoir une famille mais je crois que j’entendais par ça: un mari aimant (dixit l’enfant névrosé par les papas/maris nuls). Je me souviens même qu’en devenant jeune adulte, je me disais que je ne ferai jamais d’enfant avec quelqu’un qui n’est pas à la hauteur. Pour moi, la parentalité n’est pas une fin en soi, même si aujourd’hui elle est au centre de ma vie.
Et lorsque j’ai rencontré Matthieu, mon mari, tout a changé et devenir parent avec lui me semblait évident. Je le savais « à la hauteur ».
Et humoriste, ça ne m’a jamais traversé l’esprit enfant. Je l’ai découvert tard. Mais ce qui est « drôle » c’est qu’aujourd’hui, l’entourage de ma famille qui m’a connu petite ne sont pas étonné de mon métier et me disent « tu as toujours vanné tout le monde, on savait que tu ferais ça ». Je suis toujours surprise et à la fois rassurée de voir que je n’étais pas que l’enfant timide et complexée que je m’imagine avoir toujours été.
T. B . : Tu as fait expert-comptable, mais comment es-tu passée des chiffres aux rires ?
B. L. : Figurez-vous que c’est grâce à ces études que je suis devenue humoriste. J’allais en cours la boule au ventre. Je savais que je n’allais jamais être épanouie professionnellement et ça me rendait malade. Alors j’ai tout plaqué et suis partie travailler au Club Med durant une année (comme pour prendre une grande bouffée d’oxygène). C’est là-bas que j’ai ouvert les yeux et que je me suis rendue compte que j’adorais faire marrer les gens. Ce qui est « drôle », c’est qu’aujourd’hui, l’entourage de ma famille qui m’a connuepetite n’ est pas étonné de mon métier et me dit : « Tu as toujours vanné tout le monde, on savait que tu ferais ça. » Je suis surprise et à la fois rassurée de voir que je n’étais pas que l’enfant timide et complexée que je m’imagine avoir toujours été.
T. B . : Comment as-tu débuté ?
B. L. : En rentrant du Club, je savais où je voulais aller et je voyais d’où je partais ; le chemin paraissait si long que j’ai fonctionné par étapes (je n’aurais JAMAIS eu le courage d’écrire un sketch et d’aller en comédie club, jamais !). Alors d’abord, j’ai pris des cours de théâtre. Ensuite, j’ai joué dans des pièces, même celles qui ne payaient pas (il ne faut pas faire ça) mais mon but était de « bouffer » de la scène. Après quelques années, j’arrive ENFIN à avoir mon statut d’intermittente, ce qui me permet de pouvoir choisir un peu plus mes projets. Et une fois qu’enfin, j’avais l’impression d’être un peu drôle (grâce aux comédies) et que j’avais mon statut, je me suis lancée. Et apparemment je choisis bien mes timings puisque j’ai commencé trois mois avant le Covid.
T. B . : C’est arrivé quand et comment de nous faire partager ton quotidien ?
B. L. : Pendant le covid. J’étais enceinte et je me suis mise à raconter ce que je vivais et sans filtre. Pour moi c’était des banalités et pourtant ça résonnait auprès de mes abonnés (très peu nombreux à l’époque). Je me suis rendu compte que je disais tout haut ce que les femmes pensaient tout bas.
T. B . : Dans spectacle, tu vas plus loin que l’anecdotique. Pour moi, tu dénonces surtout sur les pressions et injonctions contradictoires que subissent les femmes aujourd’hui. Non ?
B. L. : Bien sur! Et ravie de voir que tu l’as constaté. Je me suis vraiment attelé à faire passer des messages très important pour moi sans non plus les pointer du doigt, je trouve ça tellement plus bénéfique. Parfois je me demande si c’est pas trop discret mais apparemment non, le message est passé ;)
T. B . : On revient souvent sur le fait que tu balances pas mal sur ton mec. Tu trouves qu’on en fait pas assez sur les hommes ?
B. L. : En réalité, je ne me suis pas posé cette question. Dans mon spectacle je me raconte et je parle finalement des gens que j’aime ( notamment de mes enfants, mon mari, ma mère…).
Ce spectacle c’est l’histoire d’une femme lambda, avec ses trauma d’enfant qui devient mère avec tout ce que ça implique et donc parler de mon couple qui a changé avec la parentalité me semblait évident.
T. B . : Tu penses qu’on arrivera à se remettre en question comme ça, grâce à l’humour ?
B. L. : Honnêtement, je pense que oui. Mais ça c’est comme ce que j’expliquais plus haut, l’humour a toujours servi à dénoncer parfois plus subtilement que d’autre. Mais j’y crois.
T. B . : C’est quoi tes projets en ce moment ? On va te voir dans un film ou une série ?
B. L. : Pour être honnête, ça fait 2 ans que je suis concentrée un max sur le spectacle, je dédie toute mon énergie et mon temps à ça. Je sors que maintenant le tête de l’eau et figure toi que ça fait 2 semaines que je me dis « maintenant il va falloir te bouger pour trouver un agent » je n’y avais même pas penser avant, c’est dire comme j’étais concentrée sur le spectacle.