Gosse, Lou Trotignon n’était pas super ok avec le genre qu’on lui avait assigné à la naissance : femme. Alors, en grandissant, Lou se fait la promesse de vivre jusqu’à 100 ans pour devenir un homme vers la cinquantaine, histoire de donner sa chance au féminin comme au masculin et de s’offrir une vie fifty fifty, complète et équitable. Exactement comme le mérou, son animal totem, un poisson hermaphrodite de deux mètres à la mine ahurie qui change de sexe au cours de son existence. Mais la jeunesse est tout aussi pleine de promesses et d’impatience et Lou entame sa transition vers le milieu de la vingtaine. Avant, il a étudié la philo le jour et le strip-tease la nuit, s’est initié au BDSM, a découvert le continent queer et est devenu en quelques années ce “mec trans non binaire” qui irradie de son humour les scènes des salles inclusives et des comedy clubs à en faire griller les spotligths. Cette odyssée de l’intime - et donc forcément politique - il en relate autant les douloureuses péripéties que les heureuses rencontres dans son magnifique one trans show : MÉROU. Allez zou, embarquement immédiat dans les eaux troubles du genre…
Mais tout d’abord, attention à la panique morale, rageux qui ragent à la lecture de ces premières lignes. Avant d’aller vous défouler sur les réseaux ou dans les urnes, sachez que transitionner sur scène, mettre à nu ses doutes, ses envies, ses désirs, tout en y mêlant les codes de l’humour témoigne autant d’un immense courage que d’une foi immodérée pour cet art qu’est le stand-up. Pour rappel, les grands génies de la vanne se sont toujours servi de la scène pour aborder des sujets tabous et controversés en racontant leurs parcours personnels la transformant ainsi en une tribune dédiée à la liberté d’expression et à la subversion des normes. User de la liberté d’expression pour remettre la société en question et briser les tabous n’est ni un luxe ni un privilège que s’arrogent les artistes mais un devoir. Catharsis contemporaine, le stand-up permet grâce au rire qu’il provoque une liesse collective entre personnes d’origines diverses, de créer une petite société solidaire le temps d’un spectacle. Il permet aussi aux personnes minorisées de révéler au grand jour les préjugés et les discriminations dont elles sont victimes. Sous le lol, la rage, toujours.
Mais revenons à Lou Trotignon. Faut tout de même une certaine force pour s’extirper d’une enfance anxieuse, grandir en naviguant au plus près de ses sentiments et se trouver enfin malgré les embûches, les clichés et les stigmatisations. Il faut être aussi drôlement doué pour le partager au plus grand nombre en usant comme un pro des ressorts de la comédie, de la vitalité d’une parole longtemps trop étouffée, dans une relation honnête et directe avec son public. Raconter les injections de testostérone, la mastectomie, la transphobie, le corps et les désirs, sans avoir honte ni rougir, pour au final donner de l’amour aux autres et à soi. En ces temps si craignos que le repli sur soi vire à la mise en quarantaine des droits humains fondamentaux de base comme la Liberté, l’Égalité, la Fraternité… Et ben, c’est fort.
Puissant, Lou l’est sans commune mesure et ce n’est pas une chose aisée que d’être raccord en acte avec ses paroles pour transformer le peuple de France en une communauté tolérante, bienveillante et heureuse. Tout un programme pour lequel je vote sans trembler.
Thomas Bernard : Pourquoi raconter votre histoire sur scène plutôt que dans un livre, par exemple ?
Lou Trotignon : J'ai beaucoup hésité à écrire un livre justement. Mais la solitude de l'écriture ne me plaisait pas, de plus cela me frustrait de ne pas voir la réaction des gens qui lisaient. Quand je me suis lancé dans le stand-up, j'ai tout de suite aimé la nécessité du public. Le stand-up n'existe pas sans public, on crée avec lui, on retravaille nos textes avec lui. C'est un art social. C'est aussi un art populaire et accessible à toustes. Pour vous faire une idée, le stand-up c'est le foot du spectacle vivant. Dans le foot il suffit d'un ballon, de quoi marquer l'endroit des buts et on peut jouer où on veut. Dans le stand-up il suffit d'un micro, de quoi marquer l'endroit de la scène et bim pareil on joue où on veut. Pour moi c'est ça la force du stand-up : son accessibilité. Contrairement aux pièces de théâtre parfois trop chères, mais aussi incompréhensibles si on a pas le bagage culturel. Enfin, le rire est salvateur : ça détend, ça désamorce, des gens qu'on ne pensait pas pouvoir se mettre d'accord tout à coup rient ensemble, je trouve ça magnifique. Pour moi, le stand-up était le meilleur moyen de faire passer mon message.
T. B : C’est important de reprendre la main sur son propre récit dans une société qui la raconte pour nous ?
L. T : Ah bah ça : Oui ! C'est tout le cœur de mon spectacle. Si on écoute les médias (ou les transphobes), on dirait qu'il n'y a qu'une seule manière d'être trans. On est censé souffrir dans notre enfance et notre adolescence. On est censé vouloir ABSOLUMENT devenir une meuf super féminine ou un mec super masculin. Et tout ça, c'est censé arriver du jour au lendemain. C'est le cas de certaines personnes trans c'est sûr, mais ce n'est pas le seul récit. Moi par exemple, je ne me sens pas "né dans le mauvais corps", j'ai juste senti que j'avais exploré ce dont j'avais besoin dans l'identité de femme. Lorsque j'ai pris de la testostérone pour la première fois, ça m'a rendu tellement heureux que j'ai continué à explorer ma masculinité. Dire qu'il n'y a qu'une seule manière d'être trans c'est nous déshumaniser. C'est le même principe que quand on dit "tous les arabes sont comme ça", "toutes les femmes sont comme ça", etc. Nous sommes nous aussi des individus complexes, en proie au doute, à la joie, etc. Si vous brandissez à tout va des "not all men", laissez-nous dire aussi "not all trans".
T. B : Votre one trans show suit votre transition, il est en perpétuel transformation, mais en ce moment il en est où ? Et vous ?
L. T : "One trans show", j'adore ! Tout à fait, mon spectacle a évolué en même temps que ma transition. Par exemple, la première année où je l'ai joué je commençais la testostérone, ce qui a influencé mon travail de la voix sur scène car celle-ci muait en direct. Quand j'ai fait ma mammectomie, j'ai aussi écrit un sketch sur mon opération et je l'ai ajouté à mon spectacle. Cela dit aujourd'hui, même si je continue à évoluer dans ma transition et dans ma vie, je considère que ce spectacle a la forme que je souhaitais qu'il ait. Je vais continuer à l'améliorer, évidemment, mais mes nouveaux questionnements sur mon genre ou ma sexualité font plus partie d'un autre spectacle pour moi.
T. B : Des projets nouveaux donc ?
L. T : Je suis doucement en train de travailler sur un second spectacle qui devrait partir en rodage en 2026. J'ai aussi commencé à passer des castings et à tourner dans des séries pour devenir également comédien. À la rentrée 2024 vous pourrez me retrouver dans la série "Ruby" sur France Télévision, une histoire de rupture amoureuse entre deux super héroïnes queers, dont l'esthétique est d'ailleurs très inspirée des BD de super-héros.