Le 12 juillet 1998, en voilà que je ne suis pas prêt d’oublier. Pour draguer une meuf de mon bahut, je me rends à Marmande en stop pour un concert de Raggasonic et des Wailers alors que je ne supporte pas le ragga et encore moins le reggae.
Au comble de ma lose intégrale post adolescente, je finis donc la nuit à boire du champagne avec son gros bourge de frère aîné. Elle, elle s’était taillée avec un rasta blanc au premier crin crin de guitare pour aller fumer des joints. Accessoirement, ce soir-là, la France remporte la coupe du monde de football et moi, je viens de prendre ma première grosse cuite et une belle leçon de vie : on peut rater son but et gagner quand même quelques coupes.
En 98, Léa Girardet, elle, a dix ans, se prend pour Aimé Jacquet et se rêve comédienne... Alors autant, artiste, je peux piger sans trop de mal mais qu’une gamine se passionne pour le coach le plus célèbre de l’hexagone plutôt que, je sais pas moi, Zizou, j’avoue que je botte en touche. Mais je me dis que son génial premier seul en scène, « Le syndrome du banc de touche » doit bien expliquer tout ça vu qu’il célèbre ce bon vieux Mémé, la vie d’actrice et surtout la persévérance. D’ailleurs, avant de jouer en première division du spectacle vivant, Léa Girardet a su tenir ses objectifs d’enfance en gravissant les échelons à la vitesse d’un sprint de Benzema ; licence de ciné, conservatoire du Xe à Paris, École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre à Lyon, quelques pièces, puis, à presque 30 ans, création de sa propre compagnie « Le Grand Chelem ».
Une ascension fulgurante en tête de pool qui ne doit pas faire oublier les tacles et les coups franchement bas inhérents à ce genre de profession. Au point que Léa, longtemps restée sur la touche pire qu’un Dhorasoo en finale du Mondial, s’est demandée si elle ne jouait pas comme un pied. Bref, en pleine crise de manque de reconnaissance, la jeune femme s’est lancée comme défi de parler de sa condition tout en marquant à la culotte le parcours du sélectionneur de l’équipe de France. Autant une ode aux échecs qui vous transforme qu’un récit initiatique, « Le Syndrome du banc de touche » vient remettre le ballon au centre et redistribuer les points : c’est quoi perdre quand on joue la comédie ? On fait quoi de cette vie ? Doit-on se cramponner à nos rêves ? C’est quoi ce délire autour de la réussite et de la performance ? Et surtout, que fait-on quand on y adhère pas plus que ça ?
Archi documentée, la pièce alterne, entre autres, entretiens avec Lionel Charbonnier, interviews de Vikash Dhorasoo, speechs de vestiaire d’Aimé Jacquet, récit incroyable d’une gardienne de but dans les années 60 match et confessions intimes de l’actrice en proie aux doutes en survêtement et tenue de foot. Sans échauffement, le public se prend en pleine tronche des vacheries entendues en casting, des réflexions de metteur en scène et autres anecdotes à bouffer sa feuille de match. Si le théâtre est un terrain de jeu, les arbitres se font rares pour distribuer les cartons rouges et Léa Girardet fait bien de signaler les mauvaises actions comme les pénalités. Son « Syndrome du banc de touche » à Léa, c’est du baume pour les entorses au moral et en tout cas, moi, je me dis que maintenant, même blessé à l’ego, foulé de l’estime, je finirai toujours par chanter I Will Survive. La la la la lalalalalala la la…
Comment une petite fille peut-elle se prendre de passion pour Aimé Jacquet ?
J'ai été élevé avec des garçons qui refusaient de jouer au football avec moi. Alors la seule solution que j'ai trouvée pour m'intégrer à la "bande" de mes frères c'était de faire le coach sur le bord du terrain. Et la référence de l'époque était bel et bien Aimé Jacquet. J'ai donc passé une partie de mon enfance à imiter cet entraîneur pour faire rire mes frères. Et avec du recul, je me rends compte que cet homme m'a sorti du banc de touche plus d'une fois.
En quoi le sport vous semble pertinent comme sujet ?
Je trouve que le sport est un miroir de notre société et qu'il permet de questionner le rapport hommes/femmes sous divers aspects. Mes trois premières pièces, chacune à leur manière, racontent le combat d'une femme pour exister dans un monde d'hommes. Par ailleurs, je suis très intéressée par la question de la féminité et comment, aujourd’hui encore, une femme qui ne répond pas aux codes attendus devient problématique. Et la sportive de haut niveau en est l'incarnation parfaite.
Vous avez créé deux autres pièces autour du sport. Pouvez-vous nous en parler ?
"Libre arbitre" est une pièce portée par 4 comédiennes qui retrace le parcours de l'athlète sud-africaine Caster Semenya accusée d'être un homme par la Fédération internationale d'athlétisme. "Balle de match" nous plonge dans l'histoire de "la bataille des sexes", un match de tennis légendaire entre un homme (Bobby Riggs) et une femme (Billie Jean King) qui s'est déroulé en 1973 aux USA.
Dans vos créations, vous mêlez documents, fiction et autobiographie mais aussi l'humour. C'est important pour vous le rire ?
Oui, je trouve que le rire est une véritable porte d’entrée pour entraîner un maximum de personnes avec soi… pour dialoguer, se questionner…. J’ai toujours utilisé l’humour en tant que comédienne et c’est également un réflexe dans mon travail en tant qu’autrice.