Accueil / Strip et Strapontin / Benjamin Tranié - La France d'en bas résille

Benjamin Tranié - La France d'en bas résille

06/03
 
Atteint d’un trouble dissociatif de l’identité, Benjamin Tranié mène depuis quelques années plusieurs vies en toute autonomie.
 
Symptômes ? Le patient Tranié change plusieurs fois de vêtements par jour mais aussi – et là ça devient complètement ouf – de profession, de nom, de prénom, de voix et même parfois de vocabulaire : son langage, très châtié il y a peu, vire du jour au lendemain à l’ultra graveleux. Parmi les nombreuses personnalités contradictoires, changeantes et instables qui l’habitent, nous avons recensé pas moins de 17 alter ego capables d’interagir avec le monde extérieur via les ondes de France Inter :
Le Beauf – roi des beaufs, Claude Bourbier – agent de stars , Tranié raconte – narrateur de podcasts policiers, Francis Hustler – monument du Théâtre français, Jean-Baptiste Terrier (Jib) – ingénieur chez TEUB, Romain de Bontaga – maire de Mouroux, Lucien Lalario – professeur d’histoire-géo au Lycée Magali Berdah, Laurent Vlalaverge – commentateur sur place, Apollin de Malbeuh – éditorialiste au Nouvel Obtus, Bruno Mignon – animateur sur Gentrifik FM, Veroku – caricaturiste et polémiste chez Michel l’Hebdo, François Saucisson – critique gastronomique, Pierre-Yves Bolduc – pdg de DTF Robotics , Victor Clementovitch – linguiste et politologue à SciencesPo de Pêche, Kevin – rappeur du groupe SPG avec son compère Zoubir, Vincent Grossard – conseiller d’Anne Hidalgo, Objectif Moulardaire – influenceur mindset de développement personnel …
 
Pour mieux comprendre son trouble maniaque et compulsif, il faut savoir que toutes ces personnalités partagent un seul même univers qui s’étend du parvis de la mairie de Mouroux au bowling de la zone indus de Coulommiers sans oublier les toilettes du restaurant Chez Mimoune. Ayant pris pour décor à ses délires radiophoniques ce que les sociologues appellent la France périphérique, Benjamin Tranié dresse autant le portrait rigolard d’une classe populaire délaissée que la cartographie de ces territoires que la capitale voudrait oublier.
Mais attention, qu’il arbore les traits d’un redneck du 77 avec nuquasse à rallonge et casquette vissée sur la tête autant adepte de la Suze on the rocks que d’Air kiloute, d’un hipster startuper qui deale des godemichés, du jeune maire craignos d’une petite ville de province adepte de la diffamation ou d’un rappeur cagoulé à la diction approximative et à la verve fleurie, notre schizo from Coulom ne tombe jamais dans la moquerie facile ou dans son pire travers, le mépris. Ses avatars, Tranié les aime sincères pour leurs qualités mais surtout pour leurs travers.
 
 
C’est sûrement pour ça que Tranié leur offre de temps en temps un terrain de jeu de première bourre :
la scène. Plus adepte du théâtre de boulevard que  du stand-up pur et dur, Tranié crée des spectacles pour que sa meute d’amis imaginaires puissent s’épanouir en toute liberté.
Par exemple, dans Le Dernier Relais, il campe tour à tour les clients d’un restoroute fraîchement vendu à une chaîne de fastfood. Au comptoir, les langues se libèrent au rythme des consos et déballent leur vie à même le zinc. Mais ici, pas d’ardoises, tout le monde passe à la caisse : le zadiste, le bourge, le routier, le patron… Vannes grivoises, punchlines crapuleuses sont au menu et un parfum de douce nostalgie embaume la pièce. Sentimental, Tranié ? Ben, oui. D’ailleurs, son tout nouveau spectacle « Félicitations et tout et tout » parle de mariage et forcément d’amour... À plusieurs ? Au plus profond de nous-mêmes, vit une horde de personnalités aussi diverses qu’irréconciliables qui attendent tapies dans l’ombre de nos refoulements les moments les moins opportuns pour prendre l’air. Et que celui qui n’a jamais entendu sa propre bouche exhaler par surprise les paroles nauséabondes d’un beauf, d’un pédant, d’un lâche, d’un obsédé, d’un arriviste voire d’un facho me jette la première bière. Plus porté sur la comédie que sur le comique, Tranié sait que l’âme humaine est une boîte de Pandore prête à s’ouvrir à l’improviste alors autant dompter ses propres monstres avec humour et autodérision en les transformant en de somptueux masques burlesques. Rien de tel pour caricaturer cette farce grotesque qu’est notre époque. Allez, pour le mois qui vient, n’oubliez pas ; on peut tous être le Tranié de quelqu’un.
 
LE BEAUF [Culture Fluide]
Franchouillard moustachu et bedonnant, le « beauf » fait sa première apparition dans les années 70 sous la plume du regretté Cabu dans les pages de Charlie Hebdo, journal bête et méchant. Savant mélange entre le caractère de l’ancien maire de Nice, Jacques Médecin, le physique d’un patron de bistrot de Châlons-sur-Marne, où habitait Cabu à l’époque, et des attitudes du mari de sa soeur, le personnage du beauf est devenu instantanément célèbre au point d’intégrer le vocabulaire courant et d’avoir son entrée dans le Larousse. Archétype du Français moyen forcément râleur, raciste, misogyne, homophobe violent, vulgaire, étroit d’esprit et fier de l’être, le beauf est le défouloir ultime pour Cabu.
Dans ses strips pour Le Canard Enchaîné, il en fait l’incarnation de tout ce qui lui colle la gerbe dans la France des Trente Glorieuses : l’armée, la chasse, le sport, bref tout ce qui porte un uniforme. Malheureusement, cette notion de « beauf » est aussi devenue le parfait révélateur d’un certain mépris de classe qui se met en place à l’époque dans l’élite culturelle. En effet, s’il n’est que l’inverse rétrograde d’un autre personnage de Cabu, l’éternel étudiant rêveur le Grand Duduche, le reflet ringard de ses valeurs idéalistes, le beauf n’en est pas moins un type du peuple, un prolo. C’est le mec dont on se gausse des goûts avec une condescendance ma foi, elle, très française, en oubliant parfois que le beauf en question n’est pas celui que l’on croit. De toute façon, le mauvais goût, c’est toujours celui des autres.
 
 
Contactez-nous Devenir partenaire