Une pote à moi a le mérite de trouver des jolies expressions pour qualifier une certaine catégorie d’humoristes d’aujourd’hui ; elle les appelle les « comiques électroménager ».
Oui, je sais, ça a l’air obscur écrit comme ça, mais je vous jure, ça s’explique sans peine. En fait, elle a remarqué récemment que pas mal d’artistes de stand-up grimpent sur scène uniquement pour nous raconter leurs petites déconvenues quotidiennes, leurs mésaventures de la journée, histoire de nous faire marrer sur la trivialité de notre existence à nous autres jeunes gens modernes ; le métro bondé, les courses qui augmentent, les réseaux sociaux, le frigo en panne, etc. En général leurs sketchs commencent toujours par « je ne sais pas si vous avez remarqué » ou « l’autre jour, j’étais... ». Bon, faut s’avouer que c’est sympa, parfois drôle, et on se retrouve toujours un peu dans les blagues des « comiques électroménager ». Le seul souci c’est que ça ne nous décolle pas plus le pif que ça de nos mornes réalités et ne nous mène pas bien loin. C’est bien pour se laver le cerveau, quoi…
Du haut de ses presque 34 ans, Tahnee a quant à elle décidé de faire de l’humour un cas de farce majeure. Métisse et lesbienne, native de la campagne normande, elle met un point d’honneur à faire son art un outil d’émancipation. Pour elle, bien sûr, mais aussi pour les autres. En mêlant joyeusement l’intime et le politique, Tahnee dégomme les clichés sur l’homosexualité, le genre et la race avec une énergie aussi solaire que salutaire. Aussi forte que radieuse sur scène, elle aborde des sujets de société encore pour la plupart tabous et les normalise en évoquant son expérience personnelle ; de son enfance et de son adolescence à la campagne, de ses cheveux et de leurs relations compliquées avec les coiffeurs, de son télécoming-out pendant la pandémie, de son couple, de sa relation avec son entourage depuis… Engagée, me direz-vous ? Tahnee s’en défend. C’est vrai qu’elle ne fait que raconter sa vie, sauf que sa vie à elle c’est celle d’une femme vivant tous les jours des oppressions et des discriminations.
Personne ne considère nos « comiques électroménager » de militants même si leur kif c’est bien de gloser sur leur life des plus banales. Et pourtant c’est peut-être leur désengagement vis-à-vis de l’état du monde qui les entoure qui pourrait peut-être prêter à rire. Dans le spectacle de Tahnee, le public rit franchement mais ce n’est pas forcément d’un rire confortable ; nos petites contradictions, nos grosses hypocrisies, voire même nos peurs face aux minorités nous sont renvoyées en pleine poire.
C’est que Tahnee a une belle et grande idée derrière sa tignasse, un but des plus jouasses : remettre en question la vision hétéronormée de notre société et faire évoluer les moeurs. Et puis tant qu’à faire, devenir aussi modèle pour toute la jeunesse de la communauté LGBTQia+ quand soi-même on en a manqué. Son spectacle s’appelle « L’autre ». Une belle exclamation pour dire bien des choses, comme par exemple, chouette, Tahnee depuis le temps qu’on l’attendait.
Thomas Bernard : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurices qui ne vous connaissent pas encore.
Tahnee : Je m’appelle Tahnee, je suis comédienne, humoriste et j’ai grandi à Bernay dans l’Eure (si vous ne connaissez pas, c’est pas grave !).
T. B. : Quel est le déclic qui vous a fait grimper sur les planches ?
T. : J’étais assez timide quand j’étais petite et j’ai découvert que la scène était un endroit où on pouvait se transformer, se dépasser... J’ai fait du théâtre d’improvisation, et je me suis rendu compte que j’adorais faire rire et réfléchir !
T. B. : Quelles sont vos influences en matière d’humour ?
T. : La génération de Florence Foresti, Gad Elmaleh, Jamel Debbouze, et par la suite Shirley Souagnon, Roman Frayssinet, Yacine Belhousse, Laura Domenge, Tania Dutel... Je trouve qu’on a plein d’humoristes talentueux en France ! À l’international : Hannah Gadsby.
T. B. : Vous êtes chti, antillaise, métisse et lesbienne… ce qui commence à faire beaucoup en termes d’intersectionnalité. Votre stand-up est-il pour vous une chambre d’écho à votre vie ?
T. : Tout à fait ! Je profite de l’humour pour parler de ces identités qui me composent. Surtout pour un premier spectacle, il était important pour moi de me présenter sous toutes mes facettes, et de ne pas vouloir en «cacher». J’ai voulu en faire un show personnel et généreux :)
T. B. : Comment abordez-vous les discriminations dans votre spectacle ?
T. : J’aborde les discriminations en partant de la manière dont je les vis, les émotions qu’elles me provoquent : colère, tristesse, puis rire car au final parfois les situations sont pour moi invraisemblables avec le recul. Mon but est d’amener le public à décaler le regard et ne pas tomber dans le piège des préjugés ;)
T. B. : C’est quoi le pouvoir de l’humour pour vous ?
T. : Pour moi l’humour a un pouvoir de partage et de communication. Certains sujets passent mieux avec douceur, et je trouve que le monde est déjà assez violent comme ça, alors des messages politiques mais doux, ça fait plaisir !
T. B. : C’est quoi votre programme pour 2024 ?
T. : Championne olympique de lancer de poids. Nan je plaisante, continuer à jouer et partager mon spectacle partout en France, dans des salles de plus en plus grandes, et dans mon coeur ça fera de moi une championne.